Procédons, si tu le veux bien, à une petite expérience scientifique.
Installe-toi bien confortablement.
Mieux que ça, allons.
Mais détends-toi un peu, t’es une boule de nerfs là ! Allez, on ferme un peu les yeux, on oublie tout, on respire profondément.
Là, lààà. On est dé-ten-du. Détendu.
Voilà, c’est bien mieux, n’est-ce pas ? Bon, on y va.
Tu es prêt(e) ?
Vous avez (1) nouveau message.
Ne nie pas, ton coeur de lectorat émotif a palpité.

Bam bam.
L’espace d’un instant, ton cerveau d’internaute a vu le symbole “(1)” ; et il l’a mécaniquement associé à la question: « Qui qui donc m’écrit un bien joli courrier électronique ? »
Déclenchant une réaction physiologique bien normale, la petite chamade, liée au besoin de se préparer à l’inattendu, au danger, ou à l’interaction sentimentale (amitié, amour, envie de défenestrer son prochain).
Qui n’a jamais attendu fébrilement un message électronique, en actualisant son mail/facebook/twitter avec une certaine frénésie et la touche F5 ?
Emotion comparable à celle ressentie naguère par nos parents en ouvrant leur boîte aux lettres au bout du jardin. Ou nos aïeux en décachetant un courrier scellé à la cire.
« Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ? »
Paul Verlaine, Les Fêtes Galantes, 1869.
« Va crever, vieux dégueu. »
Arthur Rimbaud, Bang bang he shot me down, 1873.
Te rends-tu compte, affable lectorat, du pouvoir que possède sur ton esprit cette simple combinaison de symboles ?
DEUX PARENTHÈSES, UN CHIFFRE.
Ça t’accroche l’oeil dès que tu les croises sur le oueb. C’est pavlovien, voilà, tu as été préconditionné par des années passées sur internet.
Ce n’est pas grave, rassure-toi.
C’est la conséquence des milliers — je pense que ça se compte en milliers pour la plupart d’entre nous — d’emails, de messages privés (« MP » sur les forums), de messages inbox (sur Facebook) ou de direct messages (« DM » sur Twitter) envoyés, reçus, osés, regrettés depuis l’émergence de l’internet 56k Tiscali qui faisait ce bruit-là.
Il y eut d’abord les forums.
Avec une petite fenêtre pop-up qui t’annonçait qu’on t’avait envoyé un message privé. Le symbole “(1)” n’était pas encore de la partie ; il était en gestation puisque c’est bien ton attention qu’on cherchait à attirer avec ce pop-up.

Puis il y eut Facebook et ses fameux “inbox”.
Dans la première version du site, le “(1)” trônait en bonne place dans la barre supérieure. Une première révolution le transforma en vilain rond bleu clair autour du 1 (voir figure ci-dessous), et personnellement je ne m’en suis jamais remis.
On notera que par effet de métonymie, on s’est mis à désigner le contenu (messages) par le contenant (inbox, littéralement, la “boîte de réception”). Ptet c’était plus facile à dire. Ptet aussi c’était pour distinguer l’e-mail classique du message facebook.

Puis il y eut Twitter et son fameux “DM”, synonyme de privauté, d’intimité et de dragouille éhontée.

(Au passage, HOMMAGE.)
Et même les boîtes mail s’y sont mises. Ainsi, lorsqu’on reçoit un mail sur Gmail, le service de messagerie de Google, c’est une nouvelle fois le symbole “(1)” qui est mobilisé.

Ce “(1)”, on le retrouve désormais un peu partout, à commencer par les aggrégateurs de flux genre Netvibes. Il devenu un symbole compréhensible par tous, une convention, comme un smiley en somme.
Tout ça pour dire quoi ?
Tout ça pour dire que la nouvelle version de facebook, en nous privant du “(1)”, nous a privé tout à la fois d’une douce chamade et d’une madeleine de Proust, et qu’à ce titre, elle est vraiment toute pourrie.
(Pute borgne.)
Ce week-end, sur une toquade, je suis descendu à Bordeaux.
C’était notoirement sympatoche.
A Bordeaux, du côté de la place du Parlement, il y a ce beau bar qui s’intitule « Les Lutins ». Même que ce site (à qui j’ai emprunté sans vergogne la petite photo ci-dessous) en dit vachement de bien.
Et même que des fois, y’a des triporteurs rouges qui viennent se garer devant.

Pourquoi c’est-y si bien que ça, d’aller aux Lutins, demanderas-tu, puisque tu es un lectorat curieux de tout.
(Déjà, je te reprends, on ne dit pas: « Je vais aux Lutins » ; mais « Je vais CHEZ les Lutins ». Nuance qui n’est pas que stylistique, ainsi que nous l’allons voir.)
Parce que, tout simplement, c’est un bar de copains.
Parce que, pour le moment, je n’ai pas trouvé son pendant parisien.
Parce que, par conséquent, j’erre de café oberkampfien en bar montmartresque sans avoir vraiment de QG panaméen.
*********************** Intermède politique ***********************
Par panaméen, j’entends “de Paname”.
J’ai mes raisons.
Quant au Panama, le jour où ils arrêteront de filer des pavillons de complaisance aux armateurs et des chapeaux mous à Lou Bega, j’envisagerai peut-être de leur rétrocéder leur adjectif (FRONT DE LIBÉRATION DE PANAMA – CANAL HISTORIQUE).
******************* Fin de l’intermède politique *******************
Petit portrait-robot du bar de copains:
- C’est un bar où le jeune patron gentil aime à rire, aime à boire, aime à chanter commeuh nous. Et paye parfois sa tournée.
- C’est un bar où il y a toujours de la place où s’asseoir, et où les bougres branchés à mèches et slim manquent de défaillir tellement on peut y rentrer facilement.
- C’est un bar où, le soir venant, on est à peu près sûr de trouver une connaissance, sans même avoir recours à la pénible méthode de la synchronisation des agendas. Comment ils faisaient avant les portables, les jeunes ? Bon ok, ils avaient des Tam-Tam ou des Tatoos. Mais avant ça ? Bah ils avaient un QG, et ils savaient pouvoir y trouver les copains à toute heure pour s’en jeter une petite.
- C’est un bar où tour à tour on peut regarder un match de foot, faire une partie d’échecs, organiser un concert, fêter un anniversaire, lire le journal, prendre un café, refaire le monde, rire, pleurer, aimer, vivre en somme.
Conditions que ledit bar « Les Lutins » remplit au surplus.
On y déguste, au passage, des cocktails très goûtus (je vous jure que je ne touche aucune rétrocommission sur le chiffre d’affaires de cet établissement de nuit).

Pour résumer, je cherche exactement le même type de bar ; mais géographiquement localisé dans l’Est parisien (comme Guy Georges), parce que l’aller-retour Paris-Bordeaux est à l’image de la botte de poireau, à savoir hors de prix.
(Ma bonne dame.)
J’ai certes deux-trois bonnes adresses (le Tagada Bar à Abbesses ; le Baron Samedi à Goncourt ; Le Café Chéri(e) à Belleville ; Mon chien stupide à Gambetta…) ; mais pas de QG bien établi. Certains de mes potes jugent illusoire de vouloir en trouver un, alléguant qu’on habite tous trop loin les uns des autres pour avoir un lieu de rencontre qui satisfasse tout le monde.
Tas de fatalistes.
Vu la faune nocturne de la capitale, ça existe forcément, un bar de copains à Paris.
« Vous avez des bars ? Vous avez des copains ? Vous prenez un bar vous mettez des copains dedans ça fait un bar à copains. »
Ce que des mecs en toge avaient bien résumé avec le proverbe: Ubi bene, ibi patria.
Comme quoi on peut s’enrouler dans un drap et pas raconter que des conneries.

Posté le: février 16th, 2010
Catégorie:
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Commentaires:
5 Comments.
Adopter un navigateur internet, c’est comme professer une religion.

Votre choix n’est pas anodin, tas de païens 2.0 ; il détermine in fine (placer un peu de latin en italique ne nuit jamais) votre Salut sur internet.
Car oui, votre Salut.
Bien sûr, comme pour toutes les religions, vous êtes prédéterminés par (l’ordinateur de) vos parents. Mais après, sitôt que vous avez l’âge de choisir à quel saint vous vouer et à quelle chapelle émarger, y’a plus d’excuse, faut assumer là maintenant.
(En fait je ne sais pas si on peut vraiment “émarger” à la chapelle. Parfois on s’y signe, c’est un début.)
De rapides statistiques de fréquentation de ce bloûg sur les sept derniers jours, merci de vos visites tas de fripons, nous indiquent que:
51,5% de toi, sémillant lectorat, utilise Firefox.
30,3% de toi, pétulant lectorat, se sert d’Internet Explorer (non, ce n’est pas sale).
12,1% de toi, bouillonnant lectorat, est adepte de Safari.
Un peu plus de 3% de toi, frétillant lectorat, a adopté Google Chrome.
Et une proportion sensiblement égale de toi, espiègle lectorat, fricote avec un “Mozilla Compatible Agent”, type Flock.
Je n’ai hélas pas la ventilation de ces données en catégories socio-professionnelles, âges et couleurs de sous-vêtements. La seule chose que je peux te dire, c’est qu’il y a eu parmi toi un coquinou qui est arrivé sur ce bloûg en recherchant les mots-clés “Priscilla nue”, et qui a dû être dépité velu.
Passons, si tu le veux bien.
(Fringant lectorat.)
À notre Théologie Simplifiée des Navigateurs Internet (TSNI), puisque c’est pour cela que nous sommes réunis ici, mon très cher frère.
Je précise à toutes fins utiles que l’idée de ce billet m’est apparue en rêve sous la forme d’un ange étincelant, qui tenait dans sa main droite un livre d’Umberto Eco et dans sa main gauche une tablette iPad affichant cette subtile métaphore.
Attention amis puristes: ce qui suit est hautement schématique et par conséquent sujet à mauvaise foi (et quand je dis mauvaise foi je pèse mes mots).
Au commencement était Mosaic, patriarche façon Abraham qui a popularisé le monothéïsme/worldwideweb.
De lui descendent la plupart des navigateurs, comme le montre ce bel arbre généalogique – à ouvrir sous Opera, sous les autres vous aurez du mal à zoomer sur cette image en .svg.
Séduits par cette belle idée (un seul Dieu universel au lieu d’une foultitude de divinités spécialisées/un seul réseau mondial au lieu d’une foultitude de réseaux locaux), les fidèles commencèrent à se convertir. Et c’est ainsi que naquit Netscape, le navigateur des premiers internautes.
Portant la Révélation parmi un petit cercle d’initié, ce peuple élu, que je qualifierai de complètement judaïque, vivait dans l’attente du Messie, à savoir l’internet mondial de masse.
Mais après une période de monopole religieux, ils furent débordés par l’essor d’un monothéïsme nouveau et à visage souriant.
Car naquit en 1995 (an 0 de notre cyber-ère), toujours de la souche Mosaic, Internet Explorer (IE). Qui lui, est notoirement chrétien, voire catholique. Et s’opposa longtemps à Netscape, présenté comme un navigateur déicide, avant de lui damer le pion.
Construit à but missionnaire, IE devait conquérir le plus de fidèle possibles et présentait un internet imagé, coloré, cathédrale emplie de grandes cérémonies pleine d’encens et de cantiques. Le www devenait user friendly et cessait d’être un truc de geek. Alors on vit fleurir maintes “pages persos” criardes, façon “le site internet de la famille Dupont” où les photos de labrador à langue alanguie trônaient en bonne place.
Le dogme était figé, décidé d’en haut par un pontifex maximus (Bill Ier) depuis son palais de Redmond et périodiquement retouché à la marge. Les fidèles ne pouvaient que suivre et étaient sommés d’avoir une confiance aveugle dans leurs intercesseurs avec le divin.
Son logo n’est d’ailleurs pas sans évoquer la première lettre du mot Eglise et sa couleur, le bleu, est traditionnellement associé à la Vierge Marie.
Notons que, résolument opposé au préservatif (verrous de sécurité), IE favorisait le développement des infections virales. Mais l’Eglise Crosoftique s’en moquait, elle dominait le marché et gagnait de nouveaux croyants en convertissant du barbare (novice de l’informatique) à tour de bras.
Avec 96% des croyants dans son giron, l’Eglise Crosoftique ne vit pas venir le schisme et cessa toute innovation sur IE entre 2001 et 2006 – soit plusieurs siècles à l’échelle du oueb.
Firefox, variante musulmane, en profita pour émerger. A l’inverse d’IE, Firefox ne présentait pas de théologie venue d’en haut: les textes étaient là, certes (transmis au prophète Mozilla), mais chaque communauté était libre d’en interpréter les sourates à sa convenance.
Cette religion était syncrétique: le moteur de Netscape (Gecko), des idées prises à IE, et rajoutait son lot d’améliorations (onglets, modules) qui favorisèrent son essor, au début parmi des peuples nomades de l’internet, puis chez le grand public.
Les imams multiplièrent les exégèses, créant plusieurs écoles de pensée (Flock, SeaMonkey, Camino, IceWeasel…), et ce fourmillement favorisa l’esprit missionnaire et conquérant de cette religion.
Là encore le logo est éclairant: c’est le seul navigateur où le globe terrestre soit représenté. Le globe, et donc les cinq continents. Qui rappellent les cinq piliers de l’islam, mais oui, et ce n’est pas du tout du tout tiré par les cheveux hein.
Le choc était inévitable, et la Croisade fut mise sur pied pour défendre les lieux saints. Cet affrontement est d’ailleurs toujours en cours, puisque Firefox taille régulièrement des croupières à IE.
Quid du peuple élu des premiers temps du oueb? Il survécut sous forme de diaspora, avant de peut-être de se reformer et se reconstituer dans son opposition à IE, avec Safari et sa variante kabbalistique, Konqueror.
Safari, dont le nom rappelle à la fois “séfarade” et “séphiroth” , a longtemps été réservé aux seuls utilisateurs de Mac. Eux seuls avaient droit au salut dans la foi safarique, faite de l’immuabilité des traditions Apple (design épuré, fidélisation de la communauté des croyants) et de différenciation (souhaitée ou subie) avec le reste de l’humanité.
Même constat pour le logo: une étoile s’y dissimule, même si les esprits chagrins, oh il s’en trouve toujours, voudront n’y voir qu’une bête rose des vents.
Quant à Konqueror, c’est une version développée pour l’environnement KDE de Linux, il rappelle la Kabbale (notons la récurrence du K) en ce que les lignes de codes, bon, c’est pas à la portée du premier venu (même si justement, KDE est un environnement bureau plus “user friendly” que bien d’autres distributions).
Mettons que Konqueror, c’est la Kabbale version Madonna quoi.
Dans cette cosmologie déchirée aux quatre vents, Google a tenté le coup de la Réforme avec Chrome. Et vas-y que je te brûle ma bulle papale, et vas-y que je réinterprète à ma sauce le www, et vas-y que je lutine un peu ma bourgeoise (mais la lumière éteinte).
Car avec l’Eglise Chromique Réformée, on est clairement dans un schisme bien bien luthérien, voire calviniste.
Austère. Glacé. Efficace. La grâce divine ne se mesure qu’à l’aune de la rapidité de chargement des pages, et qu’importe si tu aimais bien tes jolis petits modules Firefox bien pompeurs de bande passante: LES PREMIERS CROYANTS N’EN AVAIENT PAS BESOIN, EUX. Non mais. Revenons aux fondamentaux.
(Cela étant, on peut quand même personnaliser un peu Chrome, c’est le revers de la médaille d’être une Eglise réformée et anticentralisation: y’a plein de petites sectes qui émergent.)
Chrome, c’est la prédestination dans toute sa splendeur: à ceux qui abandonnent l’Eglise Crosoftique, ils connaîtront le salut et la béatitude qu’offre tout un panel d’applications web-based (logiciels utilisables via un navigateur, sans installation). Car il est écrit que les incroyants, la putain de Babylone et ces salopards de transubstanciateurs replets n’auront à terme plus droit de rêver à ce paradis plein de nimbes, de nues et d’anges asexués quoique dodus (baptisé “CLOUD COMPUTING”. Coïncidence ? M’étonnerait.)
Reste Opera. Il est pénible, Opera, c’est pas un navigateur “abrahamique” (c’est-à-dire “mosaïcien”): il descend pas des autres navigateurs, il n’est pas schismatique, il est juste là quoi.
Et il est innovant – peut-être le plus innovant de tous.
Pour maintenir la stabilité interconfessionnelle, nous nous contenterons donc de cette brève observation: OPERA EST HÉRÉTIQUE ET, PAR CONSÉQUENT, MÉRITE DE BRÛLER EN ENFER.
Point.
Attention amis puristes: tout ce qui vient d’être dit est complètement bousculé par l’émergence des navigateurs mobiles, sorte d’Apocalypse au sens de “Révélation”. Certains survivront, d’autres périront, mais tous ne seront pas sauvés. Bien fait pour ces losers.
Je conclurai en t’invitant, lectorat fidèle à tel ou tel culte, à ne pas te tromper d’icône sur ton bureau.
Alors, mon très cher frère, avec la cohorte des hiérarchies angéliques, nous pourrons nous écrier, bras ouverts, coeur en joie et face tournée vers le Seigneur:
« O Browser, where art thou ? »
(Amen.)
Posté le: février 8th, 2010
Catégorie:
Eurêka
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