Lectorat antédiluvien, et toi aussi, lectorat novice, je dois avouer que je suis assez jouasse aujourd’hui.
Je suis jouasse car je suis gloriole de te voir revenir ici à intervalles réguliers alors que tu pourrais plus profitablement picoler, rédiger ton testament, mater l’intégrale du Centre de Visionnage, jouer en Bourse, poser du papier-peint, faire du camping en turbulette, composer des opéras-bouffes ou briguer la présidence de la République.
(Une chose est sûre: on peut d’ores et déjà affirmer, sans trop se hasarder, que le futur président de la République est une personne qui ne lit pas Circonflexions. Ça restreint utilement le spectre des présidentiables.)
Pour les plus anciens d’entre toi, ça fait désormais un an que tu viens ici. Soit l’équivalent d’une rotation autour du soleil, de deux solstices, d’autant d’equinoxes et de douze prélèvements du Trésor public si tu es mensualisé.
Maismaismais ne serait-ce pas l’heure d’un premier BILAN ?
(Calmement.)
(Oui, y’a des redites dans mes vannes, mais c’est parce que je suis quasi sénile désormais.)
Je pourrais profiter de cet anniversaire pour faire un portrait-robot de toi, avec force renfort de pourcentages, de statistiques, de Google Analytics, de données sur ta localisation, ton navigateur oueb, ta résolution d’écran, ton groupe sanguin et la longueur de ton intestin grêle une fois déplié et étiré.
Mais ce serait chiant.
Je préfère donc me contenter de noter que tout du long de cette année écoulée, coquin de lectorat, tu as été affublé de maintes épithètes variées et louangeuses. Un peu comme dans l’Iliade et l’Odyssée d’Homère où Ulysse est toujours “aux mille ruses” et Hélène “aux bras blancs”, même si j’avoue que pour être complètement raccord avec ce bloûg il aurait fallu qu’Homère soit borgne et non aveugle ; NÉANMOINS je te ferais dire que dans l’Odyssée le cyclope Polyphème finit borgne ET aveugle, comme quoi c’est pas inconciliable bordel.
(Oui, j’ai fait du latin et vite fait du grec jusqu’en terminale au lieu de draguer les filles. En même temps j’étais en S, y’avait très très peu de filles aussi, donc je me suis rattrapé après. Il faudra à l’occasion que je te parle de la Théorie de la promo des anciens moches.)
Donc, tout plein d’épithètes pour te qualifier, décrire, flatter, fidéliser, flagorner vilainement. J’ai fouillé tous mes billets et je te les ai listées, afin que tu voies combien tu as été “coquin”, “affable” et “espiègle” depuis un an.
FLORILÈGE (quel joli mot):
Tu as été d’une curiosité débordante:
lectorat musardeur
lectorat indiscret
lectorat flâneur
insatiable lectorat
Tu as été affectueux et magnanime:
bon lectorat
charitable lectorat
bienveillant lectorat
fidèle lectorat
cher lectorat
Tu as été d’une élégance rare:
joli lectorat
aimable lectorat
lectorat distingué
succulent lectorat
Tu as été d’une plastique impeccablement sculptée par la pratique régulière d’une activité de maintien en forme suivant l’adage sanitaire manger-bouger:
sémillant lectorat
pétulant lectorat
bouillonnant lectorat
frétillant lectorat
fringant lectorat
Tu as été fripon, on ne va pas se le cacher:
coquin de lectorat
espiègle lectorat
lectorat filou
Tu as été un peu tout et n’importe quoi, aussi:
lectorat émotif
lectorat allergique
lectorat désabusé
lectorat antédiluvien (pas plus tard qu’il y a trente lignes)
lectorat novice (itou)
lectorat fin et pénétrant
lectorat angoissé et un peu pervers
lectorat plébéien
lectorat féru de faits divers dégoulinants
Et, au final, tu as été heureux:
affable lectorat (3 occurrences, tu es d’une putain d’affabilité)
lectorat amusé
Tu l’auras compris: pour mon prochain billet, je te parlerai donc de mon petit béguin pour le Dictionnaire de synonymes de l’université de Caen avec qui j’aimerais vivre une passion destructrice et fougueuse.
(Mais auparavant, comme je t’en avais parlé là, je vais aller jouer les centaures trois semaines sac au dos au Mexique, aussi si je ne poste pas d’ici mi-décembre considère que j’ai refait ma vie avec une narcotrafiquante à poncho qui embrasse très bien. Bisous de là à là.)
Edit 29/10 vers 01h00: juste avant d’être confondu par les ayatollahs du Bled, j’ai rectifié une vilaine faute que j’avais commise, honte sur moi: “épithète” est bel et bien un mot féminin – contrairement à “sanibroyeur” ou “borborygme”. Allez donc savoir pourquoi.
Pas plus tard qu’il n’y a pas longtemps, affairé à pérégriner sans but sur l’internet, j’ai fait un constat que je qualifierais de spectaculairement clairvoyant.
Chez l’internaute jeune et branché, tout énoncé un peu LOL comporte un point final, définitif, sans appel. Un point qui insiste, à l’instar de l’impassibilité faciale chez l’Anglais pince-sans-rire, sur l’ironie de l’affirmation ci-ponctuée.

Du type:
« La pédophilie est la faute des enfants sexys. »
Alors qu’on attendrait plutôt un point d’exclamation, qui viendrait assurer au lectorat et à la justice des hommes qu’on est bien dans le domaine de l’humour et non dans l’apologie du tripotage contraint de prépubères. Eh bien non. Le point final est là pour laisser planer ce doute affreux, rigole-t-on, rigole-t-on pas.
C’est, à mon sens, s’adresser à l’intelligence de son lectorat que de laisser planer ce doute-là. (Et je sais, quant à moi, avoir un lectorat particulièrement fin et pénétrant, en tout cas suffisamment pour ne pas se laisser prendre à ce genre de basses flatteries destinées à le fidéliser à grands coups de cirage de là à là.)
Ainsi le point, que les Anglais nomment parfois “dot” comme s’ils voulaient marier leur fille, devient de fait point du LOL (je viens de l’inventer), c’est-à-dire point(e) d’ironie, comme il y a des points d’honneur, des points Godwin ou des points éphémères (rien à voir).
Sur Twitter, par exemple, toute mini-biographie un peu coolos prend forcément la forme d’une affirmation absurde et péremptoire ponctuée d’un point final. Comme ici, ici, là, ou là, ou encore là et ici (je triche, le dernier c’est bibi. Est-ce à dire que je suis un internaute jeune et branché ? L’HISTOIRE JUGERA.)
Alors que dans l’absolu, on pourrait très bien s’en passer de ce point final-là, il est vraiment mis uniquement pour faire joli. C’est donc un POINT DU LOL.
Sur l’internet, on opposera volontiers le ponctueur pondéré, avare en points d’exclamations et généreux en allusions piquantes (BIEN), au ponctueur frénétique, qui parachève gaiement tous ses mails/statuts facebook/messages twitter d’une jungle exclamative (PAS BIEN).
Façon: « La pédophilie est la faute des enfants sexys !!!!!!!!! »
On attend, on guette d’une seconde à l’autre le «lol mdr XD», qui, chez le frénétique du point d’exclamation, appuie grassement la vanne. Un peu comme le Tonton rigolo qui, à la fin des fêtes de famille, jalonne ses allusions grivoises de clins d’oeil extrêmement ringards.
Voilà, l’abus du point d’exclamation, c’est toute la ringardise d’un Tonton rigolo bourré.
Desproges l’a dit mieux que moi:
Le goût, enfin, que nous avons gardé pour la bonne bouche, c’est bien le moindre hommage à lui rendre, peut être considéré comme le plus distingué des cinq sens. Au reste, il fait généralement défaut chez les masses populaires où l’on n’hésite pas à se priver de caviar pour se goinfrer de topinambours ! On croit rêver !! C’est pourquoi je fous tout à coup des points d’exclamation partout alors que, généralement, j’évite ce genre de ponctuation facile dont le dessin bital et monocouille ne peut qu’heurter la pudeur.
Pierre Desproges, Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis
Le point d’exclamation est une ponctuation facile, tout est dit.
Ce n’est pas un hasard si son abus est souvent recensé chez le Kévin.
(Le Kévin est une figure bien connue de l’internet. Le Kévin est adolescent, a une syntaxe approximative et ne dispose d’aucun second degré. Le Kévin a un skyblog criard et apprécie les Dédipix. Parents, n’appelez JAMAIS votre enfant Kévin. Kévin is the new Régis – qui était un con, rappelons-le.)
De même, je n’aime pas trop les voleurs, les fils de pute et les gens qui foutent partout des points de suspension tronqués (ou des points finaux dédoublés, je n’ai jamais vraiment su), un peu comme si je n’osais pas trop finir ma phrase.. Mais que je voulais quand même la finir.. Que j’hésitais.. Tout en insupportant vilainement mon lectorat.. Qui aimerait savoir si c’est pas bientôt un peu fini bordel à cul.. HAN CHOISIS MIEUX TA PONCTUATION, MANGE TES MORTS ET CESSE DE NOUS LES BROUTER.
(Mais je m’emporte.)
N’est-ce pas quelque peu nazi de ma part (bam ! Point Godwin), n’est-ce pas quelque peu nazi de ma part, disais-je, que de séparer arbitrairement les ponctueurs pondérés des ponctueurs pas pondérés, vouant une admiration aux premiers et les seconds aux gémonies ? (ceci, mon bon Kévin, est un zeugme. Tu m’en copieras dix pages.)
J’m'en vas t’le dire bien rondement: NON.
C’est juger bien vite son prochain, oué ok, mais c’est le prochain qui a commencé aussi. La mauvaise ponctuation me pique les yeux, comme l’after-shave du jeune requin en costard me pique les narines matutinalement dedans les couloirs du métropolitain.
Et ce qui vaut pour la ponctuation vaut pour l’orthographe. On va pas jouer les ‘Nard Pivot arc-boutés sur notre Bescherelle, mais si tu me piques les yeux de tes phrases à la syntaxe approximative, je risque de vouloir à mon tour qu’on te pique. Oui, la piqûre. Comme aurait fini Fifou, le chien que je n’ai jamais eu car j’étais allergique et que de toutes façons je préfère les chats.
(Auxquels je suis allergique itou.)
Oui, je sais. Tout le monde gnagna pas la chance gnégné études supérieures gnigni échec scolaire gnougnou pauvreté misère Restaus du Coeur. Ca va, hein, sur internet je ne vois que ta manière d’écrire, c’est un peu ta carte de visite, comme ton apparence extérieure dans la vraie vie du dehors, alors si tu ne respectes pas mes yeux, pourquoi voudrais-tu que je te respecte ? (Oué je dénonce.)
Revenons au point du LOL.
C’est quand même curieux cette épidémie de points finaux chez l’internaute branché. Un peu comme s’il cherchait à tout prix à se distinguer de la masse des Kévin, et à être reconnu des Loleurs select. Parlerais-je de «Ponctuation ostentatoire» pour faire zizir à Pierrot Bourdieu? Eh bah oui, rien à fout’, je suis un déglingo un peu.
Je finirai ce billet en y mettant, comme de raison, un joli point final.