De deux choses l’une: soit tu n’aimes pas le foot, et tu t’es dit: “quel tocard” ; soit tu aimes le foot, et tu t’es dit: “quel tocard”.
En effet, quitte à se faire lyncher parce qu’on aime la baballe ronde, autant soutenir un vrai club. Pas une équipe de seconde zone qui joue tous les ans le maintien en arborant pour sponsor maillot la PRESTIGIEUSE enseigne de bazars Babou.
Enseigne dont le slogan est, je le rappelle: “BABOU, TOUT À PRIX FOUS”. Hum.
Ça fait même marrer les intéressés, tiens.
Non mais bon soyons sérieux.
Qu’est-ce qui m’a pris d’apprécier ce club-là plutôt qu’une grosse machine à gagner des matches ?
Hypothèse 1: Une bête raison d’origine géographique ? Être né au pied des volcans, avoir grandi à l’ombre du stade Gabriel-Montpied ?
(Même le nom du stade prête à rire, je te l’accorde.)
Oui bon ok, en quittant son chez-soi pour le vaste monde, on devient chauvin, c’est bien légitime.
Mais à ce compte-là, autant soutenir l’AS Saint-Étienne, c’est seulement à une heure de route de chez ma Mémé et pis ils ont une vraie équipe, un vrai stade, une vraie histoire, eux.
Hypothèse 2: Alors peut-être est-ce pour son riche passé que je chéris tant ce club ?
Euuuuh. Le Clermont Foot Auvergne 63 n’a jamais rien gagné à part deux titres de champion de National (la troisième division). Miteux. Pire: il n’a jamais connu l’élite. Pas plus que le Clermont Football Club, son prédécesseur, qui a fait vilainement faillite à la fin des années 1980.
Seul fait de gloire: avoir éliminé le PSG de Loko, Le Guen, Lama et Raï en huitièmes de finale de Coupe de France en 1997, alors que les Parisiens étaient au sommet et le Clermont Foot en cinquième division.
Souvenirs:
Hypothèse 3: Le nom est joli.
On fait difficilement plus ringard que “Clermont Foot”, comme nom de club. “Salut je suis supporter du Clermont Pied Auvergne 63″. Au secours.
Hypothèse 4: Le logo est fastueux.
Mhhhh. Vercingétorix (oui, c’est lui) qui bondit au-dessus d’un ballon ?? What the fucking fuck.
Hypothèse 5: Toute la bonne ville de Clermont-Ferrand vibre pour ce club, et vu que je suis un mouton, je vibre de concert.
Oui, sauf que non.
Par chez nous, on est plutôt rugby, voyez. Question de paternalisme sauce Michelin, quand la grande manufacture de pneumatiques tentait d’occuper ses ouvriers le dimanche en les initiant aux rebonds facétieux du ballon ovale.
Du coup, le vrai club-fanion de la ville, c’est l’ASM Clermont. A.K.A. le club de rugby le plus malchanceux du monde qui a perdu 10 fois déjà en finale du championnat de France. On est à fond malgré tout, chaque année. Ma Mémé écoute les matches à la radio et dit: “ah, cette année ce sera ptet la bonne, on sait pas”.
Quand 15.000 personnes se tassent au Stade Marcel-Michelin pour le rugby, seulement 4.000 pelos viennent se les peler au Montpied pour le foot. Pareil pour les sponsors. Pareil pour les subventions publiques.
BILAN: je supporte donc officiellement un club de football de seconde zone, sans stars, désargenté, issu d’une ville de province relativement méconnue où le public en pince plutôt pour le rugby. On n’a pas de stade, pas de vrai centre de formation, pas de base de supporters.
Et pourtant, on est à quatre matches d’une éventuelle montée en Ligue 1. Bon, j’avoue, si on monte, on se fera piler et on redescendra aussitôt. Ce sera beau pour l’aspect gratuit de la chose.
Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, 1897.
(Il faut avoir souffert dans les travées populaires d’un stade au nom d’entrepreneur paternaliste du premier XXe siècle pour comprendre l’amer double sens du verbe “supporter”.)
Soutenir le Clermont Foot, c’est une posture esthétique.
Le sacerdoce est d’autant plus beau qu’on n’attend rien de spécial en retour. On est résigné dès le début de la saison. On endure paisiblement les lazzi. On philosophe les défaites, on relativise les succès. C’est, en somme, du hooliganisme en toge grecque.
Le jeune Auvergnat vient s’y ébrouer ; il secoue son duvet d’enfant dans la clarté andalouse ; il éclot à l’ombre rouge des murailles mauresques.
Il bat des ailes. Il prend son envol. C’est un oiseau migrateur.
Des années plus tard, lorsqu’il a un peu vécu, il revient arpenter les ruelles blanches où éclate parfois un carré de soleil.
On dit alors que c’est l’heure du bilan.
(Calmement.)
Là, tout est immobile. Dans les palais délicats, l’eau sifflote l’air vivifiant des altitudes.
On s’équipe d’un rafraîchissement.
On contemple.
On est bien.
Dans la main, le verre est glacé. L’odeur du printemps asticote les narines. Le soleil vous mijote les omoplates.
La jolie touriste, au bras de son routinier, jette alentour des oeillades de captive.
L’étudiante, allongée sur un muret, bouquine. Elle ignore encore qu’elle reviendra, après cinq ellipses autour du soleil, se pencher au-dessus des bassins de l’Alhambra, et y mirer le temps qui passe.
L’antique forteresse, dans l’affairement des gens et le clapotis des eaux, a des airs de place de village.
Grenade est restée la même, conclut l’Auvergnat. C’est moi qui ai changé.
(Déduction éculée, songe-t-il. A notre époque, tout a déjà été vécu, tout a déjà été ressenti, et l’homme a déjà mis des mots dessus. Tout est redite. Il ne reste que le second degré pour se croire novateur.)
Cinq printemps, cinq automnes.
Cinq étés, cinq hivers.
Les études sont finies, la voie semble tracée. Les parents, dans la maison vide, savent que leurs enfants font depuis longtemps du vélo sans roulettes.
À la cave, le père retape un tricycle en rêvant de petit-fils.
À Grenade, l’Auvergnat se demande à quoi il ressemblera dans cinq ans. Marié ? Expatrié ? Papa ? Parisien ?
Impossible à savoir.
“Je serai peut-être moustachu”, sourit-il. (La moustache sera très tendance en 2015. Vous l’avez lu pour la première fois ici.)
Mais, même moustachu, l’Auvergnat reviendra à Grenade. Faire le bilan.
Il y a quelque temps, une amie m’a qualifié d’« ayatollah du like ».
Sous-entendu, « ayatollah de la fonction “like” sur Facebook ».
Une fonctionnalité qui, en un clic, permet de signifier à tous vos contacts que vous souscrivez sans réserve à l’image, la vidéo ou la phrase qui vient d’être postée ; voire même qu’elle vous a fait vous gondoler comme une bonne grosse baleine.
(Admettons, pour les besoins de la démonstration, que les baleines se gondolent — y compris les bonnes grosses.)
Et une fonctionnalité qui, en sus, prend la forme d’un pouce levé vers le haut. Mouais. Comme aux plus sombres heures des jeux du cirque où le gladiateur vaincu attendait, tremblant dans sa petite slipette, qu’on lui signifie sa grâce ou son arrêt de mort.
Je te préviens, j’ai une posture très tranchée concernant le like sur Facebook.
C’est la mort de la nuance, car Facebook nous enferme dans un schéma “j’aime/j’aime pas”, alors que bon, moi j’aime bien hiérarchiser un peu les choses, compliquer, pondérer, barioler. Par exemple le bonheur c’est pas “je suis heureux” ou “je suis malheureux”, y’a des stades intermédiaires bordel.
Ah ! Facebook a fait de nous des monstres manichéens, le bien OU le mal, le blanc OU le noir, la fellation OU la sodomie.
(Comme si c’était inconciliable.)
Et c’est la mort de la vanne, car le like n’est pas un geste réfléchi. Une pression de doigt suffit, un peu comme avec l’arme nucléaire quoi (“Dites-moi, M. le chef d’Etat-major, qu’est-ce qui se passera si j’appuie sur ce gros bout… – krrrrrrrrrr – END OF TRANSMISSION”).
Je dis non.
Je dis révolution.
Au lieu de liker, désormais, réfléchis à la vanne que tu pourrais faire à la place. Pouffe de ta répartie cinglante, puis poste-la.
D’ailleurs, si tu as seulement ri et que tu n’as rien à rajouter, pourquoi ne pas laisser comme commentaire: “J’ai ri. Je n’ai rien à ajouter.”
Tu y gagneras une réputation de joyeux(se) noceur(se), on s’arrachera ta présence et tes bons mots, puis on tentera probablement de te faire l’amour sous la contrainte. Enjoy.
Mon bon lectorat, viens, rejoins-moi dans cette lutte pour l’élégance, la gouaille et le bel esprit. Car bientôt, la fonction like de Facebook sera étendue à tout le oueb.
Horreur, apocalypse, fin du monde. Mahmoud likes this.
« Like: l’ayatollah durcit sa position
-Aïe aïe aïe, gémit l’ayatollette. » Inspiré de Pierre Desproges, Fonds de tiroir (1990).