(Le texte de ce billet est une commande. Oui, j’ai des commandes figure-toi. Il a donc été publié en avant-première sur le beau blog Voldemag et je te le restranscris ici car je suis pas chien. Un grand merci à Marie et Zan’ d’avoir fait appel à mes modestes services d’aligneur de vocables.)
Hem, hem. Un deux, un deux. Pouf, pouf.
La partie la plus irrésistible de mon (éblouissante) anatomie, la plus fougueuse, la plus intime, la plus jouissive, la plus rougissante, en un mot la plus érotique, n’est pas celle que tu crois, coquinou de lectorat.
Oui, c’est rouge ; oui, ça bouge ; oui, ça va et ça vient (parfois entre tes reins). Tu donnes ta langue au chat ?
Eh bien précisément, ce dont je veux te parler, c’est de la mia lingua.
(Ma gouaille, ma verve, ma faconde, quoi.)
Bon, ce n’est pas à proprement parler MA langue, je l’ai empruntée à tout un tas de prédécesseurs volubiles qui ont, au travers des siècles, malaxé l’orthographe, trituré la grammaire et pétri la syntaxe. Salé, piquant, acide, mielleux, ça chante en bouche, c’est une fête pour le palais. Tous les gastronomes te le diront: sans la langue, pas de bon goût. J’espère que tu en as, lectorat alléché, les papilles qui papillonnent.
Si je te parle de ma langue, c’est qu’elle m’a valu, dans le cadre de plus d’une décennie de transports amoureux virevoltants et rocambolesques, des satisfactions dont j’aurais bien mauvaise grâce de me plaindre.
Il y a des dragueurs dansants ; je suis un dragueur parlant.
(Chacun ses armes, merde. Notons qu’il suffit d’un petit accident de ski pour que Travolta perde de sa superbe, alors que moi, non.)
Je remercie le Robert, le Littré, le Bled, le Bescherelle, le Gaffiot et le Larousse pour toutes les affriolantes galipettes que leurs contenus, une fois remâchés et débités au kilomètre à la dame de mes pensées, ont rendu possibles.
A quel moment de l’évolution l’homo erectus ou l’homo habilis s’est-il rendu compte qu’il pouvait lever de la princesse rien qu’en éructant habilement ? Qu’il n’y avait plus besoin de tracter un putain de cadavre de phacochère jusqu’à la caverne conjugale pour être récompensé d’un coït ?
En somme, quand donc ces dames ont-elles commencé à privilégier les muscles de la langue plutôt que ceux du torse?
Aucune idée, mais ça fait bien mes petites affaires vois-tu.
De là à considérer que les maîtres du langage sont aussi ceux de la chope, il n’y a qu’un pas. Le franchirais-je, sachant que la télé-réalité nous prouve exactement le contraire ?
Je vais me gêner.
Pour convaincre le Kévin à jogging de privilégier la drague langagière à la drague “hé mad’moiselle mad’moiselle, avec les jolies bottines, z’êtes charmante et tout, z’avez un 06 ?”, il suffirait d’adapter un peu ces petits programmes putassiers. D’autant qu’un vaste loft empli d’une palanquée d’individus des deux sexes s’exprimant dans le plus pur français Vaugelas, ça existe déjà.
Et ça s’appelle l’ACADÉMIE FRANÇAISE.
Imagine, lectorat émoustillé, imagine Simone flirtant avec Maurice sous la coupole et l’oeil gourmand de 35 caméras, tandis qu’Hélène, le bicorne en bataille et l’habit vert dégrafé, se ferait conter fleurette par ce coquin de Félicien, l’épée sortie (entre autre). Imagine Valéry chuintant du Baudelaire à Jacqueline dans une piscine de thalasso. Imagine Jean-Loup besognant Jean-Luc en hurlant des verbes irréguliers.
On appellerait ça «Star Académie». Ça ferait un tabac, les foules s’y presseraient (ça ferait donc un tabac-presse).
Grâce à ce rutilant concept, je gagnerais beaucoup d’argent. Ça me permettrait de compenser l’augmentation de la concurrence sur le segment des dragueurs parlants, pour me réorienter sur celui des dragueurs clinquants.
Depuis des années que j’enrichis la langue, il est grand temps qu’elle me renvoie l’ascenseur.
On va pas se mentir, lectorat soupçonneux, si j’ai titré comme ça c’est pour faire du clic.
Ah bah oui hein.
Tu trouves ça normal, toi, que plus d’un an après le lancement de ce bloûg, je n’aie toujours pas de troll officiel qui vienne me pourrir la vie ?
(Eh bien moi, non.)
Etant donné la décence des commentaires laissés à mon intention par toi, lectorat récurrent, il semble que tu sois finalement assez peu pervers, alors peut-être que j’attirerai davantage de tarés amateurs de nains priapiques branlant des poneys habillés en Mylène Farmer si je place le mot «pipe» en titre.
Ceci étant fait, de quoi qu’est-ce que je va donc t’entretenir ce joli jour ?
Mais de pipe, bien évidemment.
Alors attention, qu’on ne se méprenne pas, fripon de lectorat. Quand je dis que je vais te parler de «pipe», il serait grossier, déplacé et vulgaire d’évoquer l’ancienne capacité de mesure pour les liquides équivalant à un muid et demi, soit quatre-cent deux litres environ. (Dieu m’en préserve.)
Ou même la tuyauterie amenant les gaz carburés du carburateur au cylindre.
Sache que je n’en piperai mot (uh uh.)
Pas plus que je ne te parlerai du bagpipe, cet instrument de musique à vent composé d’une outre en peau de mouton que le joueur, rougeaud et ridicule, gonfle par un tuyau appelé porte-vent, l’air s’échappant par une pression de l’aisselle sur l’outre à travers deux tuyaux dont l’un percé de trous produit différents sons alors que l’autre produit seulement un son commun.
(Ce serait chiant en fait.)
Quant à la fellation, je suis plutôt pour, hein, dans l’absolu, mais elle a sans doute voué ma prometteuse carrière dramatique à une interminable traversée du désert de cinq longues années, entre la classe de 4e et l’après-bac, en somme.
Je m’explique.
C’était en classe de quatrième, dans un collège auvergnat tenu par d’honorables Frères.
(Je t’arrête tout de suite, personne n’y a sucé personne.)
Au sein du club théâtre, nous devions monter la pièce de Molière Le Malade Imaginaire. J’y interprétais, avec un talent scénique certain qui aurait au moins dû me valoir une nomination aux Molières (précisément), le rôle de Thomas Diafoirus, fils à papa débile et bafouilleur, débitant au kilomètre des compliments incompréhensibles.
Nous sommes sur scène, tout le collège est dans la salle des fêtes.
Et là, acte II scène 5, le drame. (LE DRAME.)
J’ai dérapé, j’ai rippé, j’ai fourchu.
Au moment où Thomas Diafoirus torche son petit mot de salutation à son futur beau-père Argan, il a ces mots:
«Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père, mais un second père auquel j’ose dire que je me trouve plus redevable qu’au premier. Le premier m’a engendré ; mais vous m’avez choisi. Il m’a reçu par nécessité ; mais vous m’avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et, d’autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d’autant plus je vous dois, et d’autant plus je tiens précieuse cette future filiation…» Molière, Le Malade Imaginaire, acte II scène 5.
L’ENSEMBLE DU COLLÈGE (enfin, surtout mon frère aîné et ses potes au dernier rang), L’ENSEMBLE DU COLLÈGE, DONC, N’A PAS VRAIMENT ENTENDU «FILIATION».
Eh non.
Pourtant, ceci n’était pas une pipe.
Bon, voyons le bon côté des choses: pour un rôle comique, l’essentiel n’était-il pas de faire rire ? Et quoi de plus drôle qu’une pipe ?
Là-dessus je vous renvoie à ce que nous en disait jadis Doudou Baer.
«Et là, la pipe. Qui dit pipe dit rire, pipe c’est drôle toujours hein, surtout si y’a du tabac dedans. Pipe, tabac, rire, l’équation est connue.» Edouard Baer, Le Centre de visionnage de l’émission Nulle part ailleurs sur la chaîne Canal plus dans le but de contribuer à son amélioration dans la mesure où il y aurait lieu de le faire.
Je te baragouine depuis une bonne dizaine de minutes sur les déboires que j’ai connu sur les planches (où je suis remonté depuis, ne t’inquiète pas pour mes péripéties de comédien impubère moqué pour un bien innocent lapsus), mais j’en oublie presque l’essentiel.
ON M’A RÉCEMMENT OFFERT UNE PIPE.
Oui, une pipe. Pas l’ancienne capacité de mesure pour les liquides ; pas la tuyauterie amenant les gaz carburés du carburateur au cylindre ; et pas le bagpipe non plus. Non, une pipe, une pipe à tabac, une belle pipe en bois bien taillée.
J’avoue que ne fumant pas, je n’en ai pas l’usage, mais j’aime l’idée absurbe de me balader une pipe au bec. (C’est du même ordre que la moustache: délicieusement suranné.)
Adoncques, pipe au coin de la bouche comme un Popeye de pacotille, je vais, avec la jolie personne à l’origine de ce beau cadeau, l’étrenner dans un bar parisien sis à Oberkampf.
Ça n’a pas raté: sitôt exhibée ma «pipe de bruyère véritable», un inconnu m’aborde, se dit lui-même fumeur de pipe (là je me dis que j’ai mis les pieds dans une confrérie secrète type secte ou franc-maçonnerie, où les fumeurs de pipes se donneraient rendez-vous à intervalles réguliers pour décider dans l’ombre de la marche du monde: «Kennedy ? Il fume des Marlboro, je veux qu’il soit éliminé.») et demande à observer l’objet.
J’y consens de bonne grâce, mais le type s’interrompt aussitôt et me lâche, après étude:
«Ah ouais mais elle est pas culottée ta pipe.
- Plaît-il ?
- Je dis: elle n’est pas culottée.
- Ecoutez, mon petit monsieur, c’est vous qui êtes culotté. C’est à peine si je vous connais, et vous me parlez pipe, vous me parlez culotte, vous êtes un grossier merle.
- Culottée, ça veut dire que t’as jamais fumé avec, quoi.
- Bé oui, je fume pas, quand j’étais gamin j’ai eu une longue carrière d’asthmatique. Des fois, sous l’emprise d’un cidre brut ou d’un vin cuit, je chipe des cigarettes et je crapote pour faire comme les grandes personnes. NE ME JUGE PAS HEIN.
- Tu vois, il faudrait que tu fumes deux-trois fois avec ta pipe, ça brûlerait les contours et ça lui donnerait meilleur goût.
- Mais si je fume, je vais attraper le sida des poumons, non ? En plus je me connais, je vais tousser salement. Ce sera pathétique.
- C’est une bien belle pipe que tu as là. Pour commencer cela dit, c’est peut-être mieux une straight plutôt qu’une bended.
- Euh. Moi personnellement je suis straight hein. Ne tentez rien je vous en prie. Je ne suis pas intéressé.
- Ah non, là c’est une bended.
- Pas intéressé. Cela dit j’ai beaucoup d’amis qui en sont, je n’ai rien contre hein.
- Straight la pipe est tout droite…
- Je veux pas le savoir. Ça me répugne.
- … et bended c’est une pipe courbée.
- Ça doit faire mal au dos votre truc. Enfin moi je dis ça, mais je suis du tout pas intéressé.»
Après quoi, on a évacué le quiproquo: monsieur n’était pas un inverti, monsieur était réellement un fumeur de pipe (bien que ce ne soit pas incompatible). Il était avec un couple d’amis ; la jolie personne offreuse de pipe et moi-même les avons rejoint à leur table et c’est ainsi que grâce à la «pipe en bruyère véritable» on a picolé toute la soirée avec d’illustres inconnus.