Et le pixel était auprès du jeu, et le pixel était le jeu.
Tout le monde les connaît, ces petits extraterrestres à antennes anguleuses et tentacules carrés (oui, “tentacule” est un nom masculin, personnellement je ne m’en remets toujours pas), qu’il fallait dézinguer à coup de lasers dans le jeu Space Invaders, sorti en 1978. Les bestioles canardaient aussi à coup de lasers (à quoi ça leur servait d’avoir des tentacules, du coup ?), et descendaient inexorablement sur l’écran, mais en crabe, en louvoyant, ce qui prouve bien à quel point elles étaient fourbes et méritaient qu’on les dézingue.
Bestioles qui sont devenus des symboles pour toute une génération de joueurs-nostalgiques-friands-de-jeux-vidéos-où-le-dépouillement-du-pixel-s’efface-devant-le-fun (ou rétro-gamers).
Du coup, par la manne alléchés, les fabricants de gadgets s’en donnent à cœur joie. Permettant au passage de réhabiliter l’expression “s’en donner à cœur joie”, inusitée depuis le regretté président Mac Mahon.
Et les artistes ne sont pas en reste. Je soupçonne même qu’ils aient été à l’avant-garde de cette vogue du pixel, signe de reconnaissance des gens qui ont entre 20 et 35 ans aujourd’hui (“Ouais, toi t’es un vrai, t’as connu la NES, les disquettes souples sur Amstrad, le club Dorothée et ta mère te faisait porter des bermudas écossais”).
Car la fin de mon dernier post t’avait laissé(e) sur ta faim, frémissant(e) d’envie, la bave aux lèvres, le cœur battant la chamade, n’y tenant plus, impatient(e) quoi.
Voici donc pour toi, fripon(ne), la belle et véridique histoire de l’artiste qui collait ses petites mosaïques un peu partout dans le monde, genre par exemple sur le D du mot HOLLYWOOD qui surplombe Los Angeles.
C’est, tu l’auras compris, une histoire de recoins.
Déjà, pour comprendre le phénomène, je m’en remets à un mien article (+ interview d’Invader) jadis rédigé quand je bossais dedans le quotidien régional de Clermont-Ferrand, La Montagne.
Oui, j’ai la flemme de repondre un truc sur le sujet. Oui, je suis une grosse feignasse.
Bon ça te donne les bases, grosso modo.
(En parlant de bases et de rétro-gaming, connais-tu ce mème internet-là ? Ah ah ah sacrés Japonais. Ils sont impayables.)
Adoncques, il est question de petites mosaïques essaimées de-ci de-là sur les murs de nos grandes cités déshumanisées par la grisaille, la froidure et la multiplication des parcmètres automatiques.
Mieux : il est question de petites mosaïques placées à des endroits stratégiques, en général près d’une plaque de rue, sur un muret, au détour d’un escalier. Toujours inattendu, rarement très accessible. Je sais pas toi, mais moi j’aime bien cette idée de cache-cache inutile et gratuit à échelle internationale.
Nostalgie + Gamers + Cache-cache : c’est un coup à te forger une communauté de fans partout dans le monde (et notamment à Clermont-Ferrand, ville glamour, ville bonheur).
Beaucoup de gens très appliqués se sont ainsi amusés à recenser les localisations de tous ces envahisseurs. Comme ce site, par exemple. Dans certaines villes, comme à Montpellier, la disposition des mosaïques dans la ville forme, vu du ciel, un gigantesque extraterrestre.
Je te jure.
Désormais, quand tu te balades, lève les yeux. Quand tu voyages, regarde en l’air. Avec un peu de chance, les rues que tu arpenteras auront déjà été déflorées par Invader et ses copines pieuvres de l’espace.
Qui font encore, ah ah ah, couler beaucoup d’encre.
(Je m’auto-attribue le prix Paul-Loup Sulitzer pour ce jeu de mot abominable.)
Je pourrais difficilement l’expliquer, mais il semble que Paris recèle une sorte de féérie à mes yeux de bouseux provincial en sabots du dimanche.
Déjà, bon, il y a le métro.
Tous ces noms de stations “qui claquent au vent de l’Histoire pour notre plus grande jouissance” (allez, on s’en paye une bonne tranche, on clique sur cette belle vidéo de Jean Dujardin parodiant Stéphane Bern).
Bastille. Stalingrad. Philippe Auguste. Gambetta. Alésia. Bir-Hakeim. Goncourt. Ou encore l’immortelle Créteil-Préfecture.
Bref, ça claque pas mal au mistral historique.
Personnellement, quand je m’ennuie dans le métro, je passe en revue la liste des stations, ça me promène. Ainsi, sur la ligne 9, on passe de la bataille d’Iéna au président F.D. Roosevelt, son Deal et sa polio, avant d’aller faire un tour au temps de Richelieu.
C’est le tour du monde à portée de strapontin.
Bon, mais il y a mieux que le métro (qui, en soi, est déjà sympa quand on s’est coltiné le bus 1 ou 16 de Clermont-Ferrand une bonne partie de sa jeunesse).
Il y a les quartiers en pente.
Dans le monde, il y a deux catégories de villes: les villes édifiées dans la plaine, qui se sentent obligées d’ériger à tout coin de rue du clocher et du beffroi pour se réhausser un peu, et les villes à déclivité, ou ceinturées de hauteurs, qui construisent comme elles peuvent – et dans lesquelles on n’est jamais perdu.
Exemple: à Grenoble, difficile de se perdre, il suffit de repérer les montagnes autour, d’en déduire le cours de l’Isère, et hop, on sait où aller.
Autre exemple: à Lyon, il suffit de repérer Fourvière, et hop, on sait où aller.
A Lille ou à Bordeaux, en revanche, point d’horizon pour orienter la marche. Tout est morne à perte de vue. De-ci de-là, un clocher accroche l’oeil et fait croire qu’on sait où on est ; mais le beffroi de Lille, qu’on le regarde de n’importe quel côté, on reste bien incapable de dire si on est à l’est, à l’ouest, au sud ou chez Gros Quinquin (surtout si le ciel est bas et la position du soleil diffuse, car trouver de la mousse sur les arbres faut pas trop y compter).
Or donc, Paris a cette chance d’avoir des quartiers en pente.
Loin de la froide solennité des boulevards bien agencés, des rues qui se coupent à angles réguliers, des parallélismes rationnels, il y a la pente.
La pente tasse l’habitat, la pente fait serpenter les rues, la pente est un cauchemar pour urbaniste du Second Empire. Du coup, les quartiers en pente (Montmartre, Belleville, les Buttes-Chaumont, la Butte aux cailles…) ont plus d’humanité, plus d’histoire, plus de caractère que toutes les avenues en pierre de taille. Bien droites, trop droites.
Pour un peu, à Montmartre, on se croirait dans une ville méditerranéenne. Un peu de soleil, de petites terrasses accueillantes, le soir qui s’éternise. Des rues dont on ne sait pas où elles débouchent, des recoins surprenants où voler un baiser un soir de mai alors que le linge sèche aux fenêtres et que l’horizon rosit, lui aussi, de plaisir (sympa de sa part).
Source: http://parifuni.over-blog.com
J’ai toujours préféré les recoins aux grands espaces ; le détail est souvent bien plus éloquent que le tout.
(Ce qui m’amène à mon prochain billet, consacré chers amis à l’artiste Invader. Ouais. Ca va être bien.)
Il n’est pas de créature plus méditative que le maître-nageur.
(Source: www.unevieafedala.com)
(Il y a bien le paresseux, le bolet moucheté et feu Raymond Barre, qui sont relativement contemplatifs itou.)
Mais il faut le voir, aux heures creuses, stagner assis sur un plot au bord de la piscine, l’air absent, interdit de passe-temps, interdit de lecture, de baladeur, de tout ce qui pourrait troubler sa mission (à savoir éviter qu’un urbain à bonnet caoutchouteux ne finisse comme le petit Grégory dans la Vologne). Le règlement est très strict. Pas même un téléphone portable pour rompre l’intenable solitude des pédiluves.
Alors le maître-nageur ère. Il arpente le bord de la piscine. Il se juche sur sa chaise d’arbitre de tennis et compte des points imaginaires (“Non M. McEnroe, la balle est bonne, elle est sur la ligne d’eau.”)
Parfois, un enfant à bouées-brassards, courant à s’en rétamer les dents sur le carrelage, le tire de sa monotone surveillance. Il hèle, il fronce le regard, il existe.
Sa tâche est un supplice de Tantale permanent: barboteur comme un poisson dans l’eau, pas le dernier à piquer une tête en dehors des heures de boulot (certains sont d’anciens athlètes reconvertis), son devoir le force à rester à l’écart, en T-shirt malséant et sandales-à-picots-sous-la-plante-des-pieds, en regardant des connards clapoter avec insouciance.
Surtout aux temps chauds.
Quand les filles, hein, coquinou de lecteur.
Sont très jolies.
Autant dire qu’il doit pas être jouasse tous les jours, l’ami maître. Imagine-t-on un banquier aimant tellement la banque qu’il prêterait à intérêts variables en dehors des heures de bureau ? Ou un pompier aimant tellement le feu qu’il ferait flamber des choses juste pour le plaisir de les éteindre ? (Mhhh, cela dit, il y a des pompiers pyromanes ou des médecins qui attrapent la grippe, comme quoi tout arrive.)
Question: qu’est-ce qui passe par la tête du maître-nageur pendant qu’il ne se passe rien dans la piscine ?
Lui seul le sait.
Moi j’en profiterais.
(À sa place.)
Pour réfléchir à la blague que je ferais à Nelson Monfort après avoir battu mon record du monde mondial.
Le bisou, déjà fait:
Pour aller plus loin, on peut toujours le pousser dans la piscine. But, my God, this is so Intervilles.