News for janvier 2010

L’échelle du bonheur

Succulent lectorat, je suis vraiment d’excellente humeur ces temps-ci ; aussi j’m'en vas t’conter ce qu’est l’Échelle du bonheur.

(Afin que tu puisses bien mesurer toute l’excellence, ces temps-ci, de mon humeur.)

Droopy hyper enthousiaste.

Pour schématiser, l’Échelle du bonheur est à l’euphorie ce que celle de Richter est aux vastes patatras.

Un outil de référence.

Une manière de rendre objectif le subjectif, RIEN QUE ÇA OUÉ, conçue jadis par un de mes anciens colocataires.

Tu peux l’utiliser chez toi aussi.

Lorsqu’au hasard de mes péripéties, un ami me dit: “Nan mais là tu vois, je suis heureux”, ma curiosité naturelle, ainsi qu’une jalousie bien légitime, me poussent à lui demander: “Ah ouais connard ? ET DE COMBIEN ?”

L’Échelle du bonheur (EdB), qui s’écrit constamment en gras parce que son intitulé se déclame façon Jean-Pierre Marielle, comporte dix échelons.

Pas neuf échelons. Pas douze échelons.

Dix échelons, afin, notamment, de pouvoir l’expliciter en nombre de doigts. Ainsi, si vous êtes à cinq sur l’EdB, vous êtes à “auriculaire-gauche”. Ce qui est bien mais pas top. Si vous êtes à huit sur l’EdB, vous figurez à “majeur-droit”, ce qui est, admettons-le, bien mieux.

Dès leur plus jeune âge, les enfants savent compter.

(En l’occurrence, ce jovial poupard semble à huit sur l’EdB.)

D’où l’expression: “Je suis à deux doigts du bonheur le plus extatique”, que ces dames susurrent volontiers au plus fort d’inavouables galipettes à composante digitale.

Valable à un instant T, l’Échelle du bonheur va donc de 0, le suicide, à 10, “le bonheur sans faille pour les six mois à venir”.

Oui, je sais, ça fait ONZE échelons.

Oui, je sais, on n’a pas assez de doigts.

Est-ce à dire que les gens qui ont une vilaine malformation des mains, genre doigts surnuméraires, sont bien plus heureux que leurs contemporains ?

Sans hésiter, je réponds OUI.

On concevra que le 10, à l’instar du 20 en dissertation de philo, n’existe pas. Personne ne peut dire: “je suis à 10 sur l’Échelle du bonheur“, sous peine de succomber à un arrêt cardiaque provoqué par une surdose d’adrénaline. Faut pas déconner avec l’extase.

On concevra itou qu’on atteint très rarement le 9. C’est exceptionnel, un 9. Faut vraiment que tout aille bien pour être en mode “index-droit”.

Enfin, le célibataire endurci aura noté que le mariage, c’est-à-dire l’alliance passée à l’annulaire gauche, correspond à peine à un 4 sur l’EdB. Ce qui prouve à quel point c’est surfait de convoler avec bobonne.

Voilà.

Maintenant que tout le monde a bien compris là.

Je peux annoncer, roulement de tambour, que, ces temps-ci, à la faveur d’une conjoncture étonnamment favorable, je suis très très heureux.

“Ah ouais connard ? Et de combien ?”

Hé ho heu hein.

Disons que J’OSCILLE ENTRE 7 ET 9 sur l’Échelle du bonheur.

Je me le note en majuscule, en prévision de dans six mois, quand je serai retombé au fond du gouffre.

Mais pour l’instant y’a pas grand-chose qui va mal: j’ai décroché un travail à vie ; je reviens d’un week-end coolos certes frisquet mais coolos en Pologne ; mon coeur est un petit papillon chamarré ; je n’ai toujours pas de cirrhose ; plus que deux mois avant le printemps ; on cherche sans trop se presser un nouvel appart de coloc plus mieux que celui qu’on a déjà et qui est déjà bien ; j’ai un long voyage loin loin prévu pour l’automne prochain ; oué oué ça va quoi.

J’ai même esquivé, pour la première fois depuis quatre ans, la terrible MALÉDICTION DU MOIS DE NOVEMBRE, où les pires merdes s’acharnaient sur moi avec sadisme.

Énorme vague d’euphorie dans ma vie ces derniers temps.

L’occasion de réhabiliter feu Ménélik, pour qui tout baignait itou:

On va faire chialer dans les chaumières, Coco

(Voire même dans les chaumines, y’a pas de raison.)

Tous les soirs, à l’heure où la soupe clapote à gros bouillons sur la gazinière, il est de bon ton de compatir au malheur d’autrui.

Voilà pourquoi David Pujadas ou Laurence Ferrari prennent un air concerné pour égrener les avis d’obsèques d’alpinistes imprudents, de Proche-Orientaux-qui-faisaient-leur-marché-quand-badaboum et autres petits garçons impubères enlevés et violés dans le Nord-Pas-de-Calais.

Une photo de Laurence et David où personne n'est gagnant

J’ai donc choisi, charitable lectorat, de dresser aujourd’hui une petite liste des Ingrédients nécessaires aux émotions médiatiques.

Car enfin, pourquoi parle-t-on plus du charcutage opératoire d’un chanteur à barbiche que de la mort de milliers de petits Darfouris le ventre gonflé de malnutrition ?

Question d’émotion, Coco. Mâme Michu veut du sang, elle veut du poil, mais elle veut avant tout que ça meure/viole pas trop loin de chez elle.

(Histoire d’avoir des compassions sanitairement acceptables. Rapport aux maladies, tout ça.)

Les variables à prendre en compte pour une bonne histoire d’ouverture du 20 heures, quelles sont-elles ?

  • Proximité

Ah oui, ne viens pas m’emmerder avec trois Birmans qui se touchent la nouille le jour où un jeune se fait poignarder dans son collège de Seine-Saint-Denis. Une bonne histoire, elle pourrait arriver à Monsieur Lambda en bas de chez lui.

C’est le fameux ratio morts/kilomètres : 50 morts au Nigeria, c’est une brève en fin de rubrique ; 50 morts en France c’est six jours de “Une” dans tous les journaux.

  • Célébrité

Un bon vieux fait divers n’en est que plus piquant si en plus l’un des protagonistes est une célébrité. Exemple, les tribulations judiciaires de Roman Polanski. Ou le meurtre de Katia Lherbier et Géraldine Giraud, fille de l’acteur Roland Giraud. Ou la mort de Marie Trintignant (deux célébrités, double jackpot).

  • Barbarie

Aaaah nous y voilà. Si y’a viol, si y’a torture, si y’a des détails salaces et/ou choquants, bah ça fait le tour de la planète. Façon Natacha Kampusch ou Josef Fritzl. Ou Michel Fourniret. Ou Marc Dutroux.

  • Fanatisme

Extrême-droite, terrorisme, religion ou secte, tout ce qui peut amener à jouer les kamikazes est bon pour l’audience.

  • Période des fêtes

Fait pas bon tuer quelqu’un dans une période où l’actualité est creuse.
Et fait vraiment pas bon le faire quand en plus les téléspectateurs, gavés d’huîtres et de foie gras, sont enclins à faire des papouilles à leur prochain et à vouloir résoudre la faim dans le monde en donnant au Téléthon.

  • Civils-qui-passaient-par-là

Un militaire qui cane, c’est, mettons, dans l’ordre des choses. Mais pas la mort de mères de familles éparpillées par une explosion à l’heure de faire les courses, ou l’enlèvement de touristes occidentaux, ces gens à sandales et sac banane qui ne demandent qu’un peu de délassement annuel dans leur morne quotidien de contribuables. D’où l’émotion générée par les catastrophes naturelles, type séïsme ou tsunami.

  • Collègues journalistes

Avouons-le, entre journalistes on est assez corporatistes: quand on voit un collègue dans la panade à l’autre bout du globe, on en parlera plus volontiers que si c’était un simple dentiste de province.

Et pis quand Machin part jouer les centaures au Bazoukistan, il fait ça pour vous informer, tas d’ingrats, alors poupougne.

  • Enfance

Petit enfant = gros titre. Point.

Conséquence, en suivant cette logique, LE MEILLEUR FAIT DIVERS DU MONDE serait:

L’enlèvement, le viol et la torture à mort de la petite chanteuse Priscilla, perpétrés le jour de Noël à Tourcoing par une secte de journalistes vénérant Jordy, puis le suicide de milliers de fans transis de désespoir.

Priscilla sourit vous en faisant un bras d'honneur.

Quelqu’un la prévient du risque qu’elle court, la pauvrette ?

(Cela dit, finir dans Faites entrer l’accusé, c’est une manière comme une autre de faire son come-back médiatique.)

Merci Professeur Rollin

(Promis, après ce coup-ci j’arrête les citations-hommages.)

« Lettre à une femme avec laquelle on a passé une nuit et c’était chouette mais c’était un peu n’importe quoi mais c’était chouette

François Rollin, un grand professeur respecté

Chère… (écrire ici le prénom de la personne, si on en a eu connaissance, et que de surcroît on s’en souvient),

Je veux vous dire à quel point je garde un souvenir ébloui de la nuit d’amour que nous venons de passer ensemble. Je ne me souviens pas de tout – le lieu de nos ébats, en particulier, m’échappe au moment de les évoquer -, mais j’ai la certitude que c’était exceptionnellement chouette, et très coloré. Je repense avec fièvre à vos yeux pers et à vos lèvres purpurines, à votre visage de toute beauté surmontant, au moyen d’un cou gracieux, un corps du même métal. Je songe aussi, avec nostalgie, à la partie de backgammon à qui-perd-gagne inversé que nous jouâmes sur le coup de 4 heures, en dégustant ces prodigieux yoghourts papaye-topinambour que vous stockiez si intelligemment dans votre havresac.

En ce qui me concerne, c’est quand vous voudrez. »
François Rollin, Les Belles Lettres du Professeur Rollin (2007)

Janvier

« Janvier est de très loin le mois le plus saumâtre, le plus grumeleux, le moins pétillant de l’année.

Pierre Desproges sautillant

Les plus sous-doués d’entre vous auront remarqué que janvier débute le premier. Je veux dire que ce n’est pas moi qui ai commencé.

Et qu’est-ce que le premier janvier, sinon le jour honni entre tous où des brassées d’imbéciles joviaux se jettent sur leur téléphone pour vous rappeler l’inexorable progression de votre compte à rebours avant le départ vers le Père-Lachaise…

Dieu merci, cet hiver, afin de m’épargner au maximum les assauts grotesques de ces enthousiasmes hypocrites, j’ai modifié légèrement le message de mon répondeur téléphonique. Au lieu de « Bonjour à tous », j’ai mis « Bonne année mon cul ». C’est net, c’est sobre, et ça vole suffisamment bas pour que les grossiers trouvent ça vulgaire. »
Pierre Desproges, Chroniques de la haine ordinaire (1986)

« Quant au mois de mars, je le dis sans aucune arrière-pensée politique, mais ça m’étonnerait qu’il passe l’hiver. »
Ibid.

« Oui. »
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre (1954)

Posté le: janvier 2nd, 2010
Catégorie: Pêle-mêle
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