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On va faire chialer dans les chaumières, Coco

(Voire même dans les chaumines, y’a pas de raison.)

Tous les soirs, à l’heure où la soupe clapote à gros bouillons sur la gazinière, il est de bon ton de compatir au malheur d’autrui.

Voilà pourquoi David Pujadas ou Laurence Ferrari prennent un air concerné pour égrener les avis d’obsèques d’alpinistes imprudents, de Proche-Orientaux-qui-faisaient-leur-marché-quand-badaboum et autres petits garçons impubères enlevés et violés dans le Nord-Pas-de-Calais.

Une photo de Laurence et David où personne n'est gagnant

J’ai donc choisi, charitable lectorat, de dresser aujourd’hui une petite liste des Ingrédients nécessaires aux émotions médiatiques.

Car enfin, pourquoi parle-t-on plus du charcutage opératoire d’un chanteur à barbiche que de la mort de milliers de petits Darfouris le ventre gonflé de malnutrition ?

Question d’émotion, Coco. Mâme Michu veut du sang, elle veut du poil, mais elle veut avant tout que ça meure/viole pas trop loin de chez elle.

(Histoire d’avoir des compassions sanitairement acceptables. Rapport aux maladies, tout ça.)

Les variables à prendre en compte pour une bonne histoire d’ouverture du 20 heures, quelles sont-elles ?

  • Proximité

Ah oui, ne viens pas m’emmerder avec trois Birmans qui se touchent la nouille le jour où un jeune se fait poignarder dans son collège de Seine-Saint-Denis. Une bonne histoire, elle pourrait arriver à Monsieur Lambda en bas de chez lui.

C’est le fameux ratio morts/kilomètres : 50 morts au Nigeria, c’est une brève en fin de rubrique ; 50 morts en France c’est six jours de “Une” dans tous les journaux.

  • Célébrité

Un bon vieux fait divers n’en est que plus piquant si en plus l’un des protagonistes est une célébrité. Exemple, les tribulations judiciaires de Roman Polanski. Ou le meurtre de Katia Lherbier et Géraldine Giraud, fille de l’acteur Roland Giraud. Ou la mort de Marie Trintignant (deux célébrités, double jackpot).

  • Barbarie

Aaaah nous y voilà. Si y’a viol, si y’a torture, si y’a des détails salaces et/ou choquants, bah ça fait le tour de la planète. Façon Natacha Kampusch ou Josef Fritzl. Ou Michel Fourniret. Ou Marc Dutroux.

  • Fanatisme

Extrême-droite, terrorisme, religion ou secte, tout ce qui peut amener à jouer les kamikazes est bon pour l’audience.

  • Période des fêtes

Fait pas bon tuer quelqu’un dans une période où l’actualité est creuse.
Et fait vraiment pas bon le faire quand en plus les téléspectateurs, gavés d’huîtres et de foie gras, sont enclins à faire des papouilles à leur prochain et à vouloir résoudre la faim dans le monde en donnant au Téléthon.

  • Civils-qui-passaient-par-là

Un militaire qui cane, c’est, mettons, dans l’ordre des choses. Mais pas la mort de mères de familles éparpillées par une explosion à l’heure de faire les courses, ou l’enlèvement de touristes occidentaux, ces gens à sandales et sac banane qui ne demandent qu’un peu de délassement annuel dans leur morne quotidien de contribuables. D’où l’émotion générée par les catastrophes naturelles, type séïsme ou tsunami.

  • Collègues journalistes

Avouons-le, entre journalistes on est assez corporatistes: quand on voit un collègue dans la panade à l’autre bout du globe, on en parlera plus volontiers que si c’était un simple dentiste de province.

Et pis quand Machin part jouer les centaures au Bazoukistan, il fait ça pour vous informer, tas d’ingrats, alors poupougne.

  • Enfance

Petit enfant = gros titre. Point.

Conséquence, en suivant cette logique, LE MEILLEUR FAIT DIVERS DU MONDE serait:

L’enlèvement, le viol et la torture à mort de la petite chanteuse Priscilla, perpétrés le jour de Noël à Tourcoing par une secte de journalistes vénérant Jordy, puis le suicide de milliers de fans transis de désespoir.

Priscilla sourit vous en faisant un bras d'honneur.

Quelqu’un la prévient du risque qu’elle court, la pauvrette ?

(Cela dit, finir dans Faites entrer l’accusé, c’est une manière comme une autre de faire son come-back médiatique.)