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Grenade

L’air y est léger, la lumière précise.

Le jeune Auvergnat vient s’y ébrouer ; il secoue son duvet d’enfant dans la clarté andalouse ; il éclot à l’ombre rouge des murailles mauresques.

Il bat des ailes. Il prend son envol. C’est un oiseau migrateur.

Des années plus tard, lorsqu’il a un peu vécu, il revient arpenter les ruelles blanches où éclate parfois un carré de soleil.

On dit alors que c’est l’heure du bilan.

(Calmement.)

Là, tout est immobile. Dans les palais délicats, l’eau sifflote l’air vivifiant des altitudes.

On s’équipe d’un rafraîchissement.

On contemple.

On est bien.

Tout est là.

Dans la main, le verre est glacé. L’odeur du printemps asticote les narines. Le soleil vous mijote les omoplates.

La jolie touriste, au bras de son routinier, jette alentour des oeillades de captive.

L’étudiante, allongée sur un muret, bouquine. Elle ignore encore qu’elle reviendra, après cinq ellipses autour du soleil, se pencher au-dessus des bassins de l’Alhambra, et y mirer le temps qui passe.

L’antique forteresse, dans l’affairement des gens et le clapotis des eaux, a des airs de place de village.

Grenade est restée la même, conclut l’Auvergnat. C’est moi qui ai changé.

(Déduction éculée, songe-t-il. A notre époque, tout a déjà été vécu, tout a déjà été ressenti, et l’homme a déjà mis des mots dessus. Tout est redite. Il ne reste que le second degré pour se croire novateur.)

Cinq printemps, cinq automnes.

Cinq étés, cinq hivers.

Les études sont finies, la voie semble tracée. Les parents, dans la maison vide, savent que leurs enfants font depuis longtemps du vélo sans roulettes.

À la cave, le père retape un tricycle en rêvant de petit-fils.

À Grenade, l’Auvergnat se demande à quoi il ressemblera dans cinq ans. Marié ? Expatrié ? Papa ? Parisien ?

Impossible à savoir.

“Je serai peut-être moustachu”, sourit-il. (La moustache sera très tendance en 2015. Vous l’avez lu pour la première fois ici.)

Mais, même moustachu, l’Auvergnat reviendra à Grenade. Faire le bilan.

Calmement.