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Vis ma vie de Belge

Mercredi dernier, c’était la fête nationale de les Belges. Qu’il me soit permis ici de leur faire des poutoux tout partout.

Car les chiffres sont sans appel: un dixième de toi, lectorat de ces trois derniers mois, est un ressortissant de la Belguique. Un sur dix. Bam, si y’a cent connexions d’un coup (bon, ok, j’en suis loin), dix d’entre toi ont le coeur noir-jaune-rouge. Fieu.

C’est incroyable, hein Bébert ?

Albert II aime les jolis tissus.

(Ce qu’il a de bien avec Bébert, c’est qu’il aime les matières nobles et les tissus d’ameublement.)

Ce billet est donc consacré à toi, ami(e) Belge, mon voisin, mon presque-frère. Tu m’enverras une caisse de gueuze, tu seras gentil.

Tout récemment, je suis allé dans le Bordelais. C’est-à-dire en Gironde, où les départementales serties de vignes serpentent entre châteaux prestigieux, domaines de renom et caves réputées, et retentissent du doux glouglou des goulots dégorgés. On m’avait indirectement convié, en tant qu’arrière-ban de l’amitié (comprendre: pote de pote), à une soirée piscine dans une grande maison campagnarde à jardin.

Je ne pouvais décemment pas me dérober. D’autant que je n’y connaissais personne, qu’il devait y avoir, je cite, «des jolies filles qui sont en droit», et que c’était par conséquent l’occasion idéale pour réaliser une grande prestation scénique (comprendre: tenter de tenir une vaste supercherie toute la nuit sans flancher).

En discutant avec les copains qui m’invitaient à cette soirée, on a réfléchi à divers métiers susceptibles de donner du rêve à l’étudiante sympathisante UMP. Emergèrent successivement les professions médicales (dentiste, sage-femme), mais il y avait le risque de tomber sur «des jolies filles qui sont en médecine» ; puis les professions où on gagne bien sa vie (agent immobilier), mais vu que je suis mal rasé et chaussé de Converse j’ai bof le profil ; puis enfin la belle profession d’archéologue, chercheur reconnu qui reviendrait d’une fouille en Azerbaïdjan, menant une vie de danger avec un chapeau et un plumeau aux quatre coins du monde.

«J'espère qu'il va arrêter de m'appeler Junior», songeait Indy.

On a donc commencé à chercher des noms de civilisations disparues en Azebaïdjan, merci Wikipédia, lorsque l’évidence s’imposa: incarner un archéologue, c’est chiant comme la pluie.

«Alors tu vois, là je bossais sur la tribu Uru, une tribu des hauts plateaux qui vouait un culte aux abricotiers, c’était très émouvant de mettre au jour tous ces vestiges d’époques révolues, tous ces témoignages d’un temps pas si éloigné du nôtre…
-Oui alors si je résume, ton métier c’est d’épousseter des morceaux de poterie sous le cagnard, quoi.»

Comme changer de métier c’était pénible, j’ai pris un virage à 180°. J’ai décidé de me faire passer pour toi.

(Ami Belge.)

On m’a donc présenté, dès le début de la soirée, comme extrêmement Wallon. Spéciale dédicace au dixième de toi, coquin de lectorat.

Un Belge, un vrai, né officiellement à Namur, mais installé en France depuis longtemps. À part cette bénigne usurpation de nationalité, le reste n’était que pure vérité: journaliste à Paris, ayant vécu un peu à Bordeaux, et la voix dépourvue du moindre accent, hein, ne sombrons pas dans la caricature crasse.

Ce fut une belle expérience scientifique. Je ne regrette rien.

Quatre constatations qui font que finalement, c’est pas si facile que ça d’être Belge en France:

1. Sans vouloir généraliser, oh et puis si, le Français voit le Belge comme une bête curieuse. Du coup, il ne lui parle que du plat pays et s’arrête à ça. C’était assez étrange mais ce soir-là j’ai très rapidement cessé d’être un être humain pour me contenter d’être une nationalité (et ce alors même que je n’en faisais vraiment pas des caisses sur mon émouvante jeunesse à Namur).
Admettons, pour les besoins de la sociabilité, que ce soit une porte d’entrée facile dans la conversation («ah, t’es Belge ? Elle est comment Maurane, en vrai ?»), mais de là à passer 30 minutes minimum là-dessus? Avec en plus certains interlocuteurs qui imitent pathétiquement l’accent belge (l’alcool aidant) et enchaînent les saillies sur les frites, merci bien, c’est horrible. Quant à la pédophilie, ah ah, c’était tellement récurrent qu’à un moment j’ai prétendu que la majorité sexuelle, en Belgique, était à 14 ans («Vérifie sur ton iPhone si tu veux. Ah mais oui c’est vrai y’a pas de réseau ici.»)

2. Aspect assez rigolo, c’est qu’on m’a demandé ma petite expertise sur un peu tous les sujets, façon: «Et vous, en Belgique, ça se passe comment ?». Notamment sur la situation politique du pays et le risque de partition. Moi, pas bégueule, on me demande mon analyse, je la livre la plus sérieusement du monde: «À mon sens, franchement, le jour où Albert II disparaît, c’est la guerre civile… Il y aura des barricades dans Bruxelles. Moi quand je vais en Flandre, je me fais passer pour un Français pour éviter les problèmes.»

3. Bon, y’a pas eu que des aspects négatifs: j’ai eu une longue discussion sur Benoît Poelvoorde, dont je suis un inconditionnel depuis C’est arrivé près de chez vous – un film que je suis capable de réciter en entier debout sur une jambe face à la mer, c’est dire. Notons que ma propre vision de la Belgique doit être relativement biaisée.

4. POINT CULMINANT DE MA SOIRÉE: je discutais avec un jeune local, je parlais avec toute la pureté de mon accent de Clermont-Ferrand, c’est-à-dire sans contrefaire le moins du monde les sonorités wallones, lorsqu’au détour d’un propos quelconque, l’interlocuteur m’a dit cette phrase, d’un air très concerné: «C’est vrai que quand tu parles, on entend ton accent belge.»

ACTORS STUDIO. CÉRÉMONIE DES MOLIÈRES. Ou l’étrange pouvoir de la suggestion (et de l’alcoolémie).

Je compte dès cette semaine faire une demande de nationalité ; paraît que d’ici vingt ans, avoir un passeport belge sera un souvenir hyper collector.


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