Posts Tagged ‘Dernier verre au George V’

Les objets précieux

« Oui, effectivement, on a un appartement de 70 m2 à côté de la Tour Eiffel, mais c’est parce qu’on a une collection d’objets précieux. »

Rassure-toi, lectorat plébéien, cette phrase n’est pas de moi.

(Tu peux donc remiser ta fourche vengeresse ou ton irascible piochon de sans-culotte assoiffé de haine régicide contre l’aristocrate poudré, car je suis moi-même très peuple.)

Cette phrase fut benoîtement prononcée par un ami d’ami, trader de son état, en réponse à ma bien naïve remarque: « Ah, vous habitez à Bir-Hakeim, votre appart’ doit pas être très grand du coup. ».

J’en ai vite conclu, car j’ai la déduction fulgurante et le corollaire expéditif, que lui et moi n’étions pas du même monde. Même s’il avait bon fond hein, ce brave trader, et qu’il a insisté pour nous payer un dernier verre, non pas dans le petit bar de quartier que chacun imaginerait à l’évocation d’un «dernier verre», mais… à l’hôtel George V.

L'Hôtel George V, une bicoque sans prétention

Palace parisien. Grooms en livrée. Fauteuils en cuir, serveur à gants blancs, bibliothèque garnie d’incunables. Et pis bam, la vodka à 25 euros.

(Eh bah quoi qu’on en dise, c’est pas meilleur à 25 euros.)

Aussitôt rentré dans ma colocation (du coeur) sur une porte de l’Est parisien, soit pas vraiment Bir-Hakeim, je raconte la belle anecdote à ma colocataire (du coeur). Laquelle a le bon goût de se marrer comme une bossue à l’évocation des «objets précieux» susnommés.

(«Se marrer comme un bossu» est mon expression-gimmick de la rentrée. Y’a pas de raison que les borgnes soient les seuls à s’en prendre plein la tronche.)

Minutes (papillon) de la réunion du Conseil de colocation informel convoqué ce soir-là:

Au terme d’un Conseil de Colocation Informel convoqué et réuni ce soir en notre appartement sis sur une porte de l’Est parisien, il est établi:
- que la notion de «collection d’objet précieux» est vraiment très LOL ;
- qu’il serait dommage de ne pas détourner ce concept à notre sauce, en collectant les objets les plus moches et les plus hétéroclites pour orner notre salon ;
Le Conseil, réuni en séance informelle, a donc statué:
- que serait créée une Collection d’objets précieux (COP) en la Coloc du coeur ;
- que ces objets, rapportés de partout dans le monde où les hasards de la vie et des vacances nous mèneraient, nous et nos amis, ne coûteraient pas plus de 5 (cinq) euros pièce ;
- que les objets choisis seraient les plus moches, kitschs, frustes et de mauvais goût possible, tout en faisant à chaque fois l’objet (hu hu) d’une anecdote rigolote justifiant leur intégration pleine et entière dans la COP ;
- qu’à terme, il devrait être fait l’acquisition d’une vitrine pour exposer la COP, mais qu’à titre temporaire, la cheminée du salon de la Coloc du coeur ferait une parfaite Zone d’exposition de la COP (ZECOP).

Motion adoptée à l’unanimité des colocataires.

À ce jour, la collection compte pas moins de 16 pièces toutes plus admirables les unes que les autres. Le monde entier nous les envie. Le British Museum fait le forcing pour obtenir en prêt ces petites pépites. Quant à Frédo Mitterrand, il souhaitait en faire le clou des Journées du patrimoine.

Je l’ai poliment mais fermement renvoyé à ses jeunes boxeurs thaïs.

Qu’y trouve-t-on, dans cette collection d’objets précieux? demanderas-tu, maintenant que je t’ai planté le décor avec un sens de la contextualisation qui ferait l’admiration de tous si je ne lui joignais pas une tendance à la digression qui me vaut parfois de perdre un peu le fil de mon propos, tiens d’ailleurs au passage je ne t’ai pas présenté mes plus plates excuses pour n’avoir pas trop pris le temps de bloûguer ces derniers temps, je suis décidément d’une inqualifiable inexactitude. C’est pourquoi, pour me faire pardonner, je fais un très long billet ce coup-ci afin d’adoucir par une bonne vieille tartine les éventuelles envies de désabonnement de mon RSS que tu pourrais manifester, lassé à bon droit de voir ton widget Circonflexions implacablement figé dans un silence sépulcral qui en deviendrait presque inquiétant si tu ne me savais pas, par ailleurs, d’une santé de fer à l’épreuve de la grippe saisonnière, des excès de libations et des caprices du climat de cette fin d’été (des amis).

C’est toujours très bon une tartine. Mais foin de digression.

LA COLLECTION D’OBJETS PRÉCIEUX EST DONC COMPOSÉE À CE JOUR DES PIÈCES SUIVANTES (suis avec les numéros).

La collection d'objets précieux.

1. Une fausse fleur en plastique avec ses fausses boules de houx, rehaussée d’un faisceau de fibres optiques qui brille de mille feux aux couleurs de l’arc en ciel moyennant un investissement dans une modique pile LR6.

2. Un fanion Michelin, rappelons qu’il s’agit d’une colocation d’Auvergnats, on est un peu obligés d’être cocardiers hein. Le peuneu, le peuneu, toute la beauté d’un radial bien rainuré, toute une ville qui vit au rythme de Bibendum. Enfant, à la maternelle, au lieu de faire rouler un cerceau dans la cour de l’école, mes camarades et moi faisions rouler de vieux pneus (anecdote très Cosette mais parfaitement véridique).

3. Bon, la photo est très mal cadrée (je suis l’un des trois pires photographes du monde, avec deux photographes roumains parfaitement incapables), mais il s’agit d’une boule à neige de Paris, avec le Sacré-Coeur, le Moulin-Rouge et l’Arc de Triomphe réunis sur fond fuchsia. De toute beauté.

4. Une boule à neige trois-en-un magique qu’on nous a rapportée de Montréal: une feuille d’érable en plastique argenté au centre + un clignotement multicolore dès que tu secoues le bidule + un faux air de lampe plasma coolos.

5. Une peluche de chien arboricole. C’est parce qu’à l’époque, ce chien était perché en haut d’une petite plante en pot qu’on avait, mais qui est morte de sa belle mort, sèche et rabougrie comme une octogénaire par temps de canicule. Donc le chien est descendu de l’arbre (et non pas, comme certains naturalistes le prétendent, du loup), de même que les trois fausses pommes vertes en plastique (clin d’oeil chiraquien, total respect Jacquot, les petits juges ne t’auront pas) qu’on peut voir un peu plus à droite.

6. Une reproduction de la place Saint-Pierre de Rome en résine bleue à paillettes qui change de couleur quand il pleut. Sans doute une de mes pièces préférées pour la splendeur du concept (rapportée d’Italie par ma coloc). Et puis c’est bien plus joli qu’un bête baromètre.

7. Un petit santon à l’effigie d’un pénitent andalou mais qu’on pourrait prendre pour un membre actif du Ku Klux Klan (c’était l’idée). Car, comme tu le sais, je suis retourné à Grenade au printemps, histoire de faire le bilan – calmement. Il est mignon, le santon, il dispose d’un tout petit bâton pour les pogroms.

8. Une vierge fluo de Fatima, au Portugal, qui veille sur nous, notamment la nuit ou les jours de coupure d’électricité. « Une statuette ? Ou bien un cierge ? Avec la vierge fluorescente, épatez vos amis en choisissant le deux en un. »

9. Une montre en faux diamants et rubis “Le Temps des Cerises” sur son coussin de satin blanc. Non, elle ne fonctionne pas. C’est donc officiellement un bibelot en forme de montre.

10. Un crayon-iguane déniché au Costa Rica par ma coloc. C’est à dire que c’est un crayon genre en simili-branchage, avec un iguane en résine collé dessus et peint à l’arrache au pochoir. Le tout ferait hyper bien dans une trousse Fido-Dido personnalisée au tipex (t’as connu ?), mais pas forcément dans un contexte professionnel («On commence l’interview, Monsieur le ministre ? Attendez, qu’est-ce que j’ai fait de mon crayon-iguane ?»).

11. Une photo de mon visage sur le corps de Barack Obama, offerte par ma petite soeur pour la Noël (j’ai flouté, j’assume peu). C’est vraiment de toute beauté et j’ai les mains très bronzées.

12. Des mini-sabots en porcelaine, de la taille, disons, d’un taille-crayon, d’un dé à coudre ou d’un micropénis de pygmée. Rapportés de Hollande, ils ont longtemps servi à caler le combiné de notre téléphone sur sa base, sans quoi ledit combiné refusait de se charger ce qui nous plongeait dans la consternation et le désespoir les plus profonds. Les sabots ont retrouvé leur place dans la collection lorsque je leur ai substitué, sur l’insistance de ma colocataire, un mètre-ruban de couturier qui cale parfaitement le combiné sur sa base. Et puis c’est pas tous les jours qu’on a besoin de mesurer des tours de poitrine aussi (quel dommage).

13. Un presse-papier en verre abritant un bouc en trois dimensions. Splendide objet rapporté d’Irlande, où se déroule tous les ans la Fête du Bouc, présentée comme la «plus ancienne fête d’Irlande» alors qu’en fait c’est une simple foire agricole où ils vendent des pièces pour tracteurs et des tronçonneuses flambant neuf. Je m’en faisais toute une fête, j’imaginais de grandes réjouissances celtiques au doux son du fifrelin, bah non: c’est tir au pigeon et auto-tamponneuses sur fond de Black Eyed Peas. Heureusement, pour faire couleur locale, ils couronnent un bouc et ils le hissent en haut d’un mât histoire que tout le monde le voie. Long live the puck.

14. Une petite cuiller en plaqué-argent à l’effigie de Son Altesse Royale Charles d’Angleterre, Prince de Galles. Le haut est évasé pour faire tenir les oreilles. Si cet homme devient roi un jour, ce sera pas mal la classe de manger des yoghourts avec sa cuiller.

15. Une bûche. Oui, une bûche, en vrai bois qui brûlerait si on la mettait dans un feu (ce dont Dieu nous garde). Enfin, pas n’importe quelle bûche, car il s’agit d’une bûche qui est dédicacée par Simon, patron du bar La Patache près de République, où il y a un poêle à bois et où, un soir d’ivresse, j’ai demandé à repartir avec un souvenir. J’avais l’air fin avec ma bûche dans le taxi.

16. (caché derrière la pomme la plus à droite) un mini-cactus dans un petit pot, qui fut un soir de fête à la maison dépoté à la suite d’une maladresse de ma part, puis rempoté avec succès et force liesse horticultrice.

Voilà.

Et la collection ne demande qu’à s’agrandir, car à chaque fois qu’un ami à nous part à l’étranger ou en province (c’est tout un), nous lui demandons de songer à trouver un joli objet précieux. C’est plus sympa qu’une carte postale qu’on punaiserait dans les toilettes, avouez.

Là, par exemple, si Allah le veut, la collection devrait prochainement s’agrandir d’un objet croate, d’un objet vénézuélien et d’un objet nippo-sino-thaïlandais. On ne tient plus, on en salive d’avance.

Au final, la question qui revient, sempiternellement, à chaque adjonction d’un nouvel objet précieux, est bien sûr la suivante: MAIS QUI A EU L’IDÉE DÉBILE UN JOUR DE FAIRE FABRIQUER UNE VIERGE-FLUO / UN CRAYON-IGUANE / UNE PLACE-SAINT-PIERRE-EN-RÉSINE-BLEUE-À-PAILLETTES-QUI-CHANGE-DE-COULEUR-QUAND-IL-PLEUT ?

On imagine forcément un créatif à catogan dans un bureau vitré avec des plantes:
« Stop, les mecs, arrêtez tout, c’est bon. Je crois que j’ai trouvé. On va créer un PRESSE-PAPIER AVEC UN BOUC INCRUSTÉ À L’INTÉRIEUR. »
« Han, formidable, patron ! Mais comment faites-vous pour être aussi fécond ? »
« C’est un don. »